Cahiers d'études lévinassiennes n° XIX

La mémoire

23 €

160 pages

Paru le 23 février 2023

Présentation

Carine Brenner et Romain Buin

La Mémoire

Luc Brisson, « Les visages de la mémoire chez Platon »

Pierre Caye, « Mémoire, amnésie et transmission »

Gilles Hanus, « Théorie des trous de mémoire »

René Lévy, « Du passé faisons table rase »

Danny Trom, « ‘Comme il t’a surpris’ La mémoire comme signal »

Textes

Franz Rosenzweig, « Introduction aux Écrits juifs de Hermann Cohen » (7 et fin)

Gilles Hanus, « Retour accompli »

Recensions

Bibliographie

Citations

Dans Totalité et infini, Lévinas écrit :

La mémoire reprend et retourne et suspend le déjà accompli de la naissance – de la nature. La fécondité échappe à l’instant ponctuel de la mort. Par la mémoire, je me fonde après-coup, rétroactivement : j’assume aujourd’hui ce qui, dans le passé absolu de l’origine, n’avait pas de sujet pour être reçu et qui, dès lors, pesait comme une fatalité […] La mémoire réalise l’impossibilité : la mémoire, après coup, assume la passivité du passé et le maîtrise. La mémoire comme inversion du temps historique est l’essence de l’intériorité.

Faculté de rendre présents un événement, une idée, une sensation, la mémoire apparaît avant tout comme l’acte par lequel la conscience rappelle à soi le passé pour le faire revivre ; elle est ce par quoi la subjectivité s’approprie le passé comme son passé. Retour, retournement, reprise, suspension : la mémoire est re-naissance à soi – révélation et résurrection. Si elle interroge fondamentalement notre rapport au temps, elle est, plus encore, expérience de la temporalité de l’esprit comme intériorité – constitution de soi, découverte de la volonté subjective, passage de l’impuissance à la puissance, du destin à l’existence. À la différence de la logique historique qui objective et totalise la somme des événements, faisant sombrer dans l’oubli ce qui n’a pas été extériorisé ni accompli, la mémoire est fragmentaire, discontinue. Souvenir de l’inachevé, elle est le rappel d’une promesse persistante dont l’écho ne cesse de nous parvenir mais que seule la volonté assumée peut entendre.

Cependant, la distinction de la mémoire et de l’histoire n’est-elle pas constamment exposée à une confusion entre l’objectivité et la subjectivité, entre la totalité et la singularité ? Si l’histoire ne juge digne d’être retenu que ce qui a pris la forme d’une manifestation extérieure et achevée, assignable à des lieux et à des dates, quel droit la mémoire peut-elle encore trouver à lui opposer, sans toutefois sombrer dans une injonction aussi inconsistante qu’inféconde à penser ce qui n’a pas été vécu ? Si la mémoire est rappel à la vie, expérience vivante du passé, n’est-elle pas le salut des sans-voix, des humiliés et des offensés, que le jugement de l’histoire ne cesse de condamner à l’oubli ? Ce sont autant de questions que nous avons voulu examiner dans cette dix-neuvième livraison des Cahiers d’études lévinassiennes.