Jean-Claude Milner

Ancien Président du Collège international de philosophie et professeur de linguistique

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La bonne âme de Washington. Comment penser sérieusement les Etats-Unis ?

Séminaire

Année 2003-2004 : Année 2003-2004

Séminaire hors-thème

Séance 1 : dimanche 1 février 2004

19h00
Institut d’études lévinassiennes à Jérusalem

Séance 2 : lundi 2 février 2004

19h00
Institut d’études lévinassiennes à Jérusalem

Séance 3 : mardi 3 février 2004

19h00
Institut d’études lévinassiennes à Jérusalem

Séance 4 : mercredi 4 février 2004

19h00
Institut d’études lévinassiennes à Jérusalem

Enregistrements audio

Séance 4 du 4 février 2004

Résumé de J.-C. Milner

Parmi les appareils d’État pouvant prétendre à régler le monde, il ne reste plus, au tournant du XXe au XXI e s., que les USA. Il s’agit de puissance, mais plus encore il s’agit de règle. Les USA prétendent proposer le canon de toute pensée qui se présentera comme politique. Le pouvoir d’État au sens classique (défini par le pouvoir de faire mourir), la Société (définie par le pouvoir de faire vivre), la légitimité ou illégitimité de la force victorieuse, la nécessité ou non-nécessité politique de l’hypothèse de Dieu, tout cela est balisé d’une manière qui contraint les contemporains et surtout ceux qui s’en croient dispensés par droit d’ancienneté. Je veux dire l’Europe.

Avec l’Europe, les États-Unis entretiennent une relation oscillant entre conjonction et disjonction. De là un brouillage qui obscurcit les représentations et encombre les stratégies – aussi bien celles de l’Europe que celles des États-Unis. Car les États-Unis sont obscurs à eux-mêmes, à un point qui n’a pas de précédent. Rome savait ce qu’elle voulait, l’Angleterre et l’Allemagne du XIX e s. aussi. Les États-Unis ne le savent pas.

Quand bien même il ne parviendrait qu’à cerner un point obscur, l’effort de clarté est d’autant plus nécessaire. Il exige en particulier qu’on s’interroge sur le christianisme : qu’est-ce qui le rend si profondément essentiel à une si extrême puissance ? pourquoi, du catholicisme romain et du protestantisme sans Église, c’est le second qui l’a emporté ? pour autant, s’agit-il de l’Empire protestant annoncé par quelques hégéliens ? ou même d’un Empire juif-chrétien ? Bref, est-ce le rêve allemand qui continue par d’autres moyens ? Ou même le rêve juif-allemand ?

Je défendrai les positions suivantes ; pour comprendre ce qui se passe sous nos yeux, il ne sert à rien de recourir aux concepts anciens. En particulier, il faut soumettre à la plus sévère critique la notion d’Empire, trop facilement mobilisée. Néanmoins, la référence allemande peut servir de révélateur. Elle devrait conduire à dissiper les rêves. Ce qui n’a pas eu lieu dans le monde de la Wissenschaft ne se produira pas davantage dans le monde du management.

Dans « La bonne âme du Se-Tchouan », Brecht narre la fable d’un dédoublement, induit par la conjonction/disjonction entre volonté bonne et volonté de puissance; c’est une fable politique sur l’Allemagne de 1939. Il m’apparaît qu’une fable analogue a Washington pour théâtre aujourd’hui.